PÉRIGNAC : PAICHEL ET LA REINE DE MERCURE

Lorsque cette voix intérieure se manifestait, notre homme tentait à chaque fois de lui faire dire en quoi consisterait sa mission. En réalité, cette voix mystérieuse était celle d’un Grand-Maître de son ancienne planète qui le guidait dans toutes ses aventures. Il veillait sur lui comme une mère sur son enfant.

Paichel était justement un grand enfant dans la peau d’un homme dans la cinquantaine. Il partit joyeusement en direction du petit palais en forme de coffret et vit alors le lézard malmener cette boîte pour se venger d’avoir eu sa lancette emprisonnée dans la serrure. Il voulait détruire ce palais, mais le chercheur d’or courut vers lui en criant bravement : “ Attends que je t’attrape par la queue, malfaisant de malheur!” C’est ainsi qu’il parla jusqu’au moment où il redevint aussi petit qu’une punaise. Il prononça mille fois la formule magique, mais rien n’y fit. Le puceron se retrouva devant un adversaire de la taille d’un dinosaure. La bête laissa de côté son petit travail de démolition afin de s’occuper de lui. Vraiment saisi de peur, le pauvre chercheur d’or recula en voyant cette gueule énorme s’ouvrir devant lui. Il en sortit une grosse lancette qui faillit d’ailleurs attraper notre homme comme une mouche. La Providence vint donc à son aide lorsqu’une fourmi trotta vers lui en disant sans attendre :

- Allons mon brave, qu’attendons-nous pour vaincre ce méchant dragon?

- Sacré-nom-d’un-chien, gémit l’homme dépassé par les événements, c’est bien la première fois que je m’adresse à une fourni de la taille d’un cheval.

- Tu as vu juste, répondit l’insecte en le pressant à monter sur son dos. Je serai ta monture pour ce combat héroïque.

- Minute, je n’ai rien d’un chevalier, n’est-ce pas? Dans les contes de fées, le héros possède au moins une armure et une lance!

- Courage mon ami, lui dit la fourmi; je viens de trouver tout ce qu’il faut pour mener un combat, digne de figurer dans les annales de la chevalerie. Regarde là-bas, près de la petite pierre. Oui, c’est la carapace d’une coccinelle. Avec un tel bouclier, tu auras fière allure! Puis, dépêche-toi de prendre la lance que tu trouveras près de la carapace.

- Un cure-dent!

- C’est mieux que rien du tout, n’est-ce pas? Vite, monte sur mon dos puisque le monstre charge sur nous.

- Sacré nom d’un chien, s’écria le pauvre chevalier :

Mieux vaut mourir en combattant un dragon
Que de fuir en poltron!

Le cavalier tenait son cure-dent en se rappelant le célèbre Don Quichotte de la Manche. Il ajouta donc ironiquement en chargeant sur le gros lézard :

Si Don Quichotte était capable de s’attaquer à des moulins à vent
Je peux bien défendre ma belle avec un cure-dent!

Le combat dura une seconde. Le monstre goba la monture et son cavalier, mais le cure-dent demeura coincé au fond de sa gorge. Il suffoqua sans pouvoir proclamer sa victoire. Paichel et sa petite monture sortirent joyeusement de la gueule énorme en chantant de joie : “ On a gagné nos épaulettes...”

Soudain, sans avertissement, la fourmi se transforma en goéland. Tout homme serait vraiment dérouté de vivre une aventure aussi invraisemblable que celle-là. Un insecte qui se métamorphose en oiseau n’est sûrement pas quelque chose qui se voit souvent de nos jours...Et sans doute, en fut-il ainsi depuis toujours! Quoi qu’on en pense de cette aventure du chercheur d’or, il vaudrait peut-être mieux se contenter de connaître la suite de sa mission afin de savoir comment il devint extrêmement riche. Donc, l’oiseau dit à notre homme étonné :

- Monte sur mon dos, nous allons nous attaquer au deuxième poisson qui a gobé la perle de Mars.

- Ai-je le choix?

- Non, si tu veux obtenir ton or, fais ce que je te demande.

Le goéland s’envola et le pauvre chercheur d’or s’accrocha aux plumes de son cou en espérant qu’elles soient solides. Il vit bientôt deux poissons nager côte-à-côte sur la surface de l’eau lorsque l’oiseau plana à quelques centaines de mètres du rivage de l’île inconnue.

- Ces deux poissons possèdent la perle de Mars et de Vénus, dit le goéland en amorçant sa descente. Je vais les forcer à se séparer afin d’en laisser un seul s’échoir sur la grève.

- On ne pourrait pas les ramener tous les deux afin d’en finir au plus vite avec ces voleurs?, demanda Paichel qui avait hâte de posséder les trois perles.

- C’est vraiment trop risqué, lui répondit son compagnon en se rapprochant de la surface de la mer. Celui qui détient la perle de Mars est si jaloux et belliqueux qu’il est capable de te dévorer avant que tu puisses ouvrir la gueule de sa partenaire. Nous devons donc les séparer pour des raisons sécuritaires.

Traqué par le goéland, le poisson mâle fit signe à sa partenaire de plonger au fond de la mer afin d’échapper à l’oiseau de proie. C’est en voulant semer son poursuivant que le belliqueux fit un bond de trop sur la plage déserte. Alors qu’il gigotait craintivement sur le sable, le volatile en profita pour se poser un peu plus loin afin d’y déposer son cavalier.

- Il est à toi ce gros poisson, dit l’oiseau en battant des ailes. Il te reste à lui faire régurgiter la perle de Mars.

- Comment dois-je m’y prendre?

- Je l’ignore, lui fit savoir le goéland avant de s’envoler.

- Merci de tes bons conseils, s’écria le chercheur d’or d’une voix déçue.

Paichel s’approcha du gros poisson menaçant en récitant la formule magique :
Abulotte, abolo, lolo

Malheureusement pour lui, il ne se souvenait plus de la formule exacte de : Anneau lac abulo, abulo, lolo. Par conséquent, il ne put reprendre sa taille normale. Il regarda son ennemi ouvrir sa gueule pour lui montrer ses crocs de fer. Ce poisson volant possédait des écailles aiguisées dont la forme faisait penser à des boucliers argentés. Effrayé, l’homme lui lança la perle de Saturne sur la figure menaçante sans qu’elle puisse le blesser. Étrangement, la pierre noire qu’il avait pris à la raie se changea en une fort jolie danseuse polynésienne! Elle dansa du ventre autour du poisson ébloui par sa beauté et sa grâce. La danseuse le charma si bien qu’il s’endormit à force de la fixer intensément. Paichel en profita pour aller chercher la pierre de Mars dans son ventre. Il croyait pouvoir la placer dans sa poche, mais celle-ci se transforma en guerrier de l’Antiquité. Le jeune homme tenta de faire la cour à la jolie danseuse du ventre jusqu’au moment où un poisson lui tomba sur la tête. De sa gueule sortit une perle rouge qui roula ensuite vers le guerrier avant de se changer en une véritable Vénus! Cette apparition était aussi belle que la reine de Mercure et son sourire envoûta aussitôt le chercheur d’or. Cela rendit jaloux le jeune guerrier qui sortit alors son glaive dans le but de se débarrasser de Paichel. En réalité, Vénus voulait punir son compagnon d’avoir osé faire la cour à une autre femme en souriant au pauvre chercheur d’or. Ce petit jeu de séduction était réciproque puisque le galant missionnaire lui prit la main pour la baiser en gentilhomme pour voir ensuite le glaive lui frôler la tête.

- Il ne sera pas dit que j’ai laissé une chèvre humaine me ravir celle que j’aime, lui cria le guerrier en colère. Combattons et que le meilleur gagne!

- Je n’ai pas de glaive pour me battre contre toi, se contenta de répondre celui qui se laissait couvrir de baisers par Vénus.

- D’accord, combattons à mains nues, répliqua le guerrier en jetant son arme sur le sable. Approche que je t’étrangle, étranger de malheur.

- Je n’ai pas l’intention de me battre, lui répondit calmement Paichel avant d’embrasser Vénus.

- Tu n’es qu’un lâche, ragea le guerrier jaloux en reprenant rapidement son glaive. Je vais te couper la tête et prouver à Vénus que celle-ci était vide!

Lorsqu’il vit le bouclier doré de ce guerrier, Paichel en devint très excité. Il était en or véritable et orné de pierres précieuses. Notre homme évita de justesse le coup de son adversaire pour ensuite lui arracher son bouclier. L’autre en fut sidéré et cria en reculant :

- Personne avant toi n’aurait osé m’arracher mon bouclier. Qui es-tu donc pour posséder une telle audace?

- Cela n’a aucune importance, lui répondit le chercheur d’or en fixant les jambières richement ornées de son ennemi.

Comme notre homme voulait les examiner de plus près, il s’agenouilla devant le guerrier étonné et ravi en même temps. Il s’imaginait sans doute que ce drôle de missionnaire voulait réclamer sa clémence! Il ne connaissait pas encore ce Fontaimé Denlar Paichel, celui-là! Le chercheur d’or le fit basculer sur le dos afin de lui arracher ses jambières. Le guerrier s’empressa de se relever avant de reculer en gémissant :

- Tu n’es pas un homme dépourvu de courage, étranger! Un dieu de la guerre doit se cacher en toi pour te donner autant d’assurance. C’est sans doute Zeus lui-même qui se sert de toi pour me punir d’avoir détourné mon regard de la belle Vénus. Je ne veux plus te combattre pour m’éviter d’attiser davantage la colère du Père des dieux et des hommes.

Le guerrier laissa ses jambières et son bouclier entre les mains du chercheur d’or et fit même la paix avec sa compagne. Mars et Vénus se promenèrent un long moment sur la plage et la danseuse polynésienne demeura auprès de Paichel pour lui enseigner l’art de se déhancher. Notre homme y parvint après un certain temps et se retourna pour demander d’autres leçons de danse à son instructrice. Malheureusement pour lui, il ne vit que la perle noire sur le sable. Il la ramassa en soupirant de déception et vit ensuite les deux amoureux disparaître comme par enchantement. Ils s’étaient transformer de nouveau. Alors, le missionnaire ramassa les deux pierres précieuses pour les placer dans sa poche de chemise. Il venait d’obtenir les trois perles demandées par la reine de Mercure.

On pourrait croire que son aventure venait de se terminer là, n’est-ce pas? Détrompons-nous puisque le missionnaire chercha toute la journée le palais de la reine sans le trouver. On se souvient que le lézard s’attaqua à celui-ci pour se venger d’avoir eu sa langue emprisonnée dans la serrure. Même s’il ne parvint à tuer la reine et ses valets, la bête donna un coup de queue sur la boîte ce qui eu pour résultat de l’envoyer sur la grève. Une vague la ramassa et l’emporta sur un flot. Il fallait récupérer le palais, mais Paichel ne pouvait y parvenir sans aide. C’est alors qu’il vit le petit vaisseau éclaireur se poser lentement devant lui. Il paraissait énorme à présent que notre homme devait s’habituer à vivre comme une punaise. Une porte circulaire s’ouvrit au sommet du navire spatial et le chercheur d’or vit un étrange petit bonhomme en sortir sans se presser. Croyez-le ou nom, ce personnage était un véritable humain en chair et en os. C’était un homme dans la quarantaine avancée et presque chauve comme Paichel. Il lui dit en riant :

- Dépêche-toi de monter à bord si tu veux retrouver le palais de la reine de Mercure.

- Sacré-nom-d’un-chien, puis-je savoir à qui j’ai l’honneur de parler?

- Mon nom est Gérard Laflamme. Tout comme toi, j’ai été transporté sur cette île pour tenter de récupérer les trois perles magiques. Mais j’avoue avoir eu peur de la raie noire qui possédait la première pierre précieuse et j’ai fui avant de pouvoir l’affronter sur la grève. Pour me racheter, j’ai accepté de piloter cet engin afin d’aller partout à travers le monde à la recherche d’un homme qui saurait accomplir une telle mission.

- Je ne suis pas un héros si tu veux mon simple avis!

- Et moi alors, suis-je simplement un lâche pour avoir été incapable de récupérer ces trois perles?

Le missionnaire lui répondit d’une voix complaisante :

- Disons que tu n’avais pas l’habitude comme moi d’accomplir des missions, n’est-ce pas?

- Oh, tu sais, j’ai éprouvé ta patience et ta persévérance avant d’accepter de te conduire sur cette île, lui répondit le pilote. Un autre homme a tiré sur mon vaisseau éclaireur lorsque j’ai tenté de me poser près de lui. Dans ton cas, même après t’avoir projeté sur la grève et nargué pendant des heures, tu n’as pas cherché à me faire la guerre.

- Disons que je suis d’une nature pacifiste, dit Paichel en souriant. Donc, c’était toi qui pilotait cette boîte à sardines? J’avoue en être quelque peu déçu puisque je m’attendais à voir des petits bonhommes verts sortir de ce vaisseau étrange.

- Hé bien, pardonne-moi de te décevoir, mon ami. Entre voyons, il faut retrouver le palais de la reine avant qu’il ne s’éloigne davantage sur la mer.

Paichel pénétra dans ce vaisseau étrange et vit un seul cadran de bord et une manette semblable à celle d’un hélicoptère. Le pilote plaça sa main devant un tableau circulaire sur lequel apparaissait trois lignes de couleurs différentes.

- Si tu connais les trois couleurs des feux de circulation, dit Gérard en riant de bon coeur, tu peux piloter cet engin sans aucune difficulté. Lorsque tu veux t’immobiliser, tu frottes ta main sur la couleur rouge. Pour ralentir, tu utilises celle qui est jaune et pour accélérer, tu touches la couleur verte. Pour monter, descendre, tourner ou faire des pirouettes dans les airs, tu utilises ce manche de direction.

- Est-ce aussi sécuritaire que simple dans son application?, demanda le missionnaire.

- Oui, vraiment sécuritaire et si facile que je vais même te laisser piloter. Place-toi devant la manette et pousse-la légèrement en avant pour le décollage. Puis, à moins d’aimer la vitesse, je te conseille de toucher la ligne jaune plutôt que la verte.

- Comme ça? Oh, nous montons vraiment, s’exclama le chercheur d’or d’une voix excitée.

- Oui, c’est vraiment simple n’est-ce pas? Maintenant, pour voler en ligne droite, tiens le manche vers le centre. Oui, tu devrais maintenir cette vitesse pour faciliter nos recherches.

Le pilote amateur se sentait drôlement important derrière la manette de direction. Il la poussa lentement par devant afin de planer au-dessus des petites vagues de la mer à peine agitée. Les deux hommes regardaient par un large hublot triangulaire les moindres objets qui flottaient à la surface. On doit préciser que la pollution de la quasi totalité des mers et océans de la planète laissait des traces un peu partout. Paichel secoua tristement la tête en examinant une large étendue d’eau recouverte de pétrole. Gérard en fit autant en disant:

- Les mers sont devenues de véritables dépotoirs et les hommes s’en inquiètent plus ou moins! Je parie que des savants ont déjà songé à se servir de la lune comme poubelle! Regarde ça, mon ami!

Les voyageurs virent toutes sortes de déchets qui flottaient comme des bouquets malsains. Comment retrouver le palais de la reine dans cette mer qui rejetait près des côtes de l’île inconnue, tout ce qu’elle pouvait nettoyer par son courant régulier? Vraiment, le pilote n’était plus certain de revoir ce palais. Le soleil descendait lentement à l’horizon et bientôt il ferait trop noir pour poursuivre des recherches. Au matin, le coffret se trouvera si loin des côtes qu’il faudra s’attendre à rechercher une aiguille dans un ballot de foin.

- Le palais ne devrait pas être éloigné de beaucoup, dit Paichel en réfléchissant à la situation. À en juger par la vitesse à laquelle vogue ces déchets, nous devrions bientôt le voir. S’il a suivi le courant, je vais en faire autant pour connaître sa direction.

Paichel se posa sur une petite vague et se laissa transporter un moment vers l’autre côté de l’île. En effet, il comprit rapidement que si tous les déchets changeaient de direction lorsqu’ils frappaient des vagues plus fortes, qu’il devait s’y laisser conduire à son tour. Son navire fit lentement le tour de l’île avant d’arriver dans une petite baie. Le palais de la reine s’était échoué sur un petit rocher rectangulaire. Il fut donc facile au vaisseau de s’y poser sans encombre.

- Nous y voilà, s’exclama Paichel en souriant. Je vais pouvoir remettre les trois perles magiques à cette reine qui pourra ensuite retourner sur Mercure.

- Oui, elle va en être vraiment reconnaissante, tu sais!

- Nous y allons ensemble puisque je ne sais vraiment pas ce que j’aurais fait sans toi, lui dit le missionnaire.

- Je n’ai rien fait de bien extraordinaire, dit tristement Gérard en cherchant à lui sourire malgré tout. Si tu veux faire quelque chose pour moi, demande à la reine de me redonner ma taille normale si cela est en son pouvoir car j’aimerais retourner chez moi.

- C’est tout?

- C’est suffisant, je trouve!

- Non, je vais t’offrir la moitié de la fortune qui m’a été promise, dit le généreux missionnaire.

- Je t’aime bien, mais je ne veux pas de ton or. Ce trésor appartient à celui qui a retrouvé les trois perles et de ce fait, tu dois refuser de le partager avec moi. De toute manière, je ne saurais pas comment vivre autrement.

- Et comment vivais-tu avant de te faire conduire sur cette île?

- J’étais clochard!

- Comme moi alors!

- Non, tu es un faux clochard puisque tu travailles comme missionnaire. Un véritable itinérant ne travaille jamais et se contente de vivre de la manne céleste comme les oiseaux. Va porter les perles précieuses et n’oublie pas de solliciter ce que je t’ai demandé.

Son nouvel ami s’exécuta et le reine de Mercure fut si excitée d’avoir retrouvé ses trois perles magiques qu’elle lui dit sans attendre :

- Il y a si longtemps que j’attendais ce jour que tu peux me demander tout ce que tu désires!

- Vous m’aviez promis beaucoup d’or, votre majesté, lui répondit le missionnaire en déposant les perles devant le bassin.

- Tu auras beaucoup d’or, tel que promis, et l’amitié de tous les habitants de ma planète.

- Je suis disposé à accepter cette amitié si vous me prouvez que les Mercuriens sont des êtres bons et généreux. J’ai deux demandes à vous faire et si vous daignez me les accorder, je vous échangerai ces voeux contre l’or que vous désirez m’offrir. Mon premier souhait serait de voir mon ami quitter cette île sans amertume. Il a tenté de vous aider et se croit maintenant coupable de n’avoir pu vous rapporter ces trois perles. J’aimerais qu’il sache que les Mercuriens lui pardonnent ses faiblesses et qu’ils lui offrent également leur amitié sincère.

- Les humains sont vraiment étranges!, répondit la voix très douce de la reine. Nous n’éprouvons aucune amertume à son égard, même s’il a failli à sa mission. Loin de nous abandonner, ton ami s’est dévoué grandement pour nous trouver un autre missionnaire. Je ne sais pas pourquoi Gérard éprouve ce sentiment de culpabilité puisque nous l’aimons beaucoup.

- Je pense qu’il est déçu d’avoir eu peur de la raie noire, lui répondit le missionnaire. Il ne semble pas réaliser qu’il a passé des années à voyager à travers le monde pour rechercher celui qui saurait le remplacer pour cette mission. Il faudrait sans doute lui rappeler que vous l’aimez comme moi!

- Oui, nous lui dirons cela puisque c’est la vérité. Quel est ton autre souhait?

- Gérard et moi sommes des humains et non des punaises pour vivre dans nos corps minuscules. Donc, nous aimerions retrouver notre taille normale avant votre départ.

- C’est tout?

- C’est tout ce que je souhaite, votre majesté.

La reine consulta ses deux serviteurs avant de lui dire :

- Nous sommes disposés à recevoir Gérard afin de le remercier de nous avoir trouvé un libérateur. Puis, vous retrouverez votre taille normale dès que vous aurez atteint l’endroit du monde qui vous intéresse. Nous vous laisserons utiliser le vaisseau-éclaireur pour quitter l’île. Ne vous inquiétez pas pour lui lorsque vous serez arrivé à destination. Ce navire reviendra nous rejoindre dans l’espace dès que vous lui direz qu’il peut s’en aller.

- On dirait bien un chien fidèle qui retourne auprès de son maître!, s’exclama le missionnaire en riant de bon coeur.

- Il faudrait ajouter dans notre dictionnaire que l’Hermoplane est un chien fidèle, dit le tube noir. Paichel, notre ami, nous serons toujours reconnaissant envers les hommes de ton genre. Nous retournons chez-nous sans juger la valeur de vos idées et de vos moeurs. Les Mercuriens ignoraient tout des sentiments humains avant de te connaître. Nous réalisons que votre monde est parfois très dur, mais nous croyons fermement que d’autres hommes sont disposés à le rendre meilleur. Nous avons remarqué beaucoup de guerres et d’injustices sur votre planète, tu sais! Malgré tout, vous possédez toutes les sciences pour la transformer en véritable paradis terrestre. C’est le seul message que nous tenions à vous transmettre. N’accusez jamais la science de vos malheurs, mais apprenez à vous en servir comme un chien fidèle. Adieu Paichel.

Le missionnaire sortit du vaisseau en réfléchissant à l’avenir de l’humanité. Cet homme était convaincu que les humains finiraient tous par comprendre que le monde est si fragile qu’il faut l’aimer davantage parce qu’on peut le perdre à cause des nombreuses inventions qui ne servent pas toujours à rendre notre monde meilleur.

Gérard Laflamme fut vraiment ému de se faire offrir une pierre de lune par la reine de Mercure. Il sortit du vaisseau en souriant candidement au missionnaire. Il lui raconta avoir été grandement apprécié par ces extra-terrestres malgré son échec. Paichel opina d’un large signe de tête en disant :

- Hé bien, mission accomplie! Nous devons partir à présent.

- Oui, un immense trésor t’attend en Grèce.

- Mais que veux-tu dire au juste?

- Mais simplement que la reine de Mercure tient fermement à te rendre riche. Elle m’a expliqué qu’il existe sur l’île de Crète un ancien domaine qui fut le royaume d’une toute petite civilisation. C’était bien avant celle des Grecs ou des Hellènes. Celle-ci possédait tant d’or qu’elle devait en cacher un bon nombre sous le palais du chimial. Ce nom signifiait simplement: mystère. Selon les extra-terrestres, il y aurait eu un temple à cet endroit où les riches citoyens venaient y déposer toutes sortes d’objets en or.

- Ce culte devait sûrement avoir un lien avec le soleil, dit Paichel en souriant. C’est bien connu que les peuples archaïques rendaient un culte à l’astre du jour et celui de la nuit. L’or brille comme le soleil, n’est-ce pas!

- Peut-être que tu as raison, se contenta de répondre le pilote. Je vais t’y conduire et ensuite...

- Tu feras quoi ensuite? Pourquoi ne pas demeurer avec moi si tu es vraiment un clochard? Je vais pouvoir acheter ce domaine avec les jambières et le bouclier d’or de cet étrange guerrier qui vit au fond de la perle de Mars. Lorsque je serai le propriétaire de ce terrain, tu pourras t’y promener sans devoir craindre de te faire arrêter pour vagabondage. Qu’en penses-tu, Gérard?

- Pourquoi pas, après tout!

Le vaisseau minuscule se posa sur l’île de Crète en pleine nuit et les deux hommes reprirent leur taille normale dès qu’ils demandèrent à l’Hermoplane de retourner dans l’espace. Gérard possédait une carte précise pour retrouver ce domaine abandonné depuis des milliers d’années. En effet, la reine de Mercure lui fit voir sur un écran géant à quoi ressemblait exactement cet endroit. Nos amis arrivèrent bientôt dans une vaste région recouverte de pierres énormes. Personne n’aurait voulu cultiver ces terrains et encore moins s’y établir.

- Qu’en penses-tu?, demanda Paichel à son ami.

- Je pense que c’est un véritable désert de pierres, répondit l’autre en baissant les yeux.

- Nous en ferons un véritable domaine si nous pouvons retrouver le trésor de cette ancienne civilisation. Il faut d’abord acheter ces deux mille hectares de terre.

- Comment sais-tu qu’il s’agit de deux mille hectares?, demanda Gérard en riant.

- C’est ma voix intérieure qui me le dit!

- Ah bon, si elle le dit, cela doit être vrai!

- Tu as le droit de ne pas me croire lorsque j’affirme qu’il s’agit de deux mille hectares. De toute façon, nous le saurons dès que j’irai voir les autorités locales pour acheter ces vastes champs de pierres.

- Et s’ils refusent de te les vendre, que ferons-nous?

- Mais ils vont accepter de me les vendre puisque ma voix me dit que je devrai y faire bâtir un centre de villégiature international.

- Dans un désert de pierres? Tu n’y songes pas! Je plains les pauvres touristes qui voudront passer des vacances ici!

- Mais qui te parle d’attirer des touristes dans un désert, voyons! Ces pierres vont servir à la construction de mon futur manoir. Ensuite, je saurai bien découvrir cet or qui servira à faire défricher ces vastes champs. Tu vois, je crois fermement que cette terre est riche mais encore sauvage. Il faudra la travailler pour la rendre fertile.

Paichel vendit les jambières et le bouclier d’or à un riche collectionneur qui était également l’un des plus influents personnages de la Grèce. On disait qu’il s’était enrichi en vendant des armes à travers le monde. C’est tout de même grâce à son intervention si le missionnaire devint le propriétaire de deux mille trois cents hectares de terre. On le prit évidemment pour un insensé lorsqu’il proposa vingt mille dollars américains contre cette région désertique. Sans perdre de temps, Gérard et Paichel firent des recherches dans le but de retrouver ce fameux trésor du royaume de “ Chimial ”. C’est le nom que nos amis donnèrent à cette civilisation mystérieuse puisque les archives historiques de Crète ne contenaient aucune information concernant ce peuple archaïque.

Une simple tente servait d’habitation à nos deux chercheurs solitaires et surtout: solidaires. Gérard parcourait toutes les directions à la recherche d’une grotte ou même d’une ruine qui pouvait avoir servi de temple. Après plusieurs semaines, nos amis durent admettre que cette région ne contenait que des grosses pierres. Ils ne virent aucune ruine et encore moins de caverne. Ils finirent par mendier dans les villes et villages avoisinants pour survivre. Un jour qu’ils quêtaient sur le port, un autre clochard les aborda en leur offrant du fromage et une bouteille de vin.

- Vous n’êtes pas Crétois?, demanda le vieil homme au sourire amical.

- Non, nous sommes deux pauvres idiots qui s’imaginaient faire fortune en Grèce, se contenta de répondre Gérard.

- Je pense que mon ami est quelque peu déçu de n’avoir trouvé aucun or sur ce terrain que j’ai acheté dernièrement, dit Paichel en tendant la main à l’étranger.

- De l’or? Vous êtes sans doute de véritables idiots pour tenter d’en retrouver sur cette île infestée de ruines qui n’intéressent que les touristes, s’exclama le clochard crétois. Venez manger et boire, mes pauvres amis.

- Nous acceptons volontiers ton invitation si tu veux bien nous dire ton nom, demanda le missionnaire en souriant.

- Je suis Ulrichos Karïs, tailleur de pierres à la retraite. Malheureusement, je déteste les foyers de vieillards et je préfère mendier pour survivre. Et vous, puis-je vous demander vos noms?

- Le mien est Gérard Laflamme, clochard depuis toujours...je pense. J’ai toujours travaillé à ne rien faire; on se comprend!

- Et moi, je suis Fontaimé Denlar Paichel...

- Paichel? Tu dis t’appeler Paichel, n’est-ce pas?, s’empressa de lui demander Ulrichos en l’examinant d’un air excité.

- Tu me connais?

- Non, j’ai entendu parler de toi par mon père lorsque je vivais à Athènes. À l’époque, mes parents travaillaient au musée à titre d’archéologues. Un jour, ils durent analyser les fragments d’un vase égyptien qui fut découvert à Alexandrie au début du siècle. Il datait de deux cents ans avant Jésus-Christ et montrait un joyeux buveur assis au milieu d’un groupe de vieux sages. Sais-tu comment s’appelait ce personnage que l’artiste a inscrit sous le vase?

- Aucune idée, répondit le missionnaire d’un air innocent.

- Il portait le nom de Mêléos Denles Paichelis. C’est vraiment étrange qu’il s’appelait Paichel comme toi, n’est-ce pas?

- Oh, il doit s’agir de l’un de mes ancêtres, sans doute!

- Non, sous le même vase pouvait se lire un petit texte qui affirme que ce personnage était un missionnaire de l’intemporel. Mes parents discutèrent si souvent en ma présence du mystérieux voyageur missionnaire que j’ai retenu ton nom sans m’en rendre compte.

Paichel ne tenait pas du tout à lui révéler ses facultés de voyager dans le temps et préféra nier tout lien entre son jumeau, Mêléos Denles Paichelis et lui-même. Puisque ce missionnaire n’était pas le même, il fit comprendre à ce clochard que personne ne serait intéressé à le représenter sur un vase.

- Je ne suis pas assez important, dit-il pour qu’un artiste me dessine sur un vase. Par contre, puisque je suis orphelin de naissance, il se peut fort bien que ma mère adoptive se soit inspiré de ce vase pour me donner le nom de ce farfelu personnage.

- Pour cela, il aurait fallu que ce vase soit exposé au musée et disponible au public, lui répondit Ulrichos sans insister davantage. Allons nous asseoir sur le bord du quai afin de nous restaurer.

Les trois clochards mangèrent avec appétit et discutèrent longuement de ce domaine acheté par Paichel. Ulrichos lui proposa de tailler les pierres qui serviraient à la construction de la nouvelle résidence de ses amis.

- Il me faudrait pour cela mes outils de tailleurs, murmura Ulrichos d’un air embêté.

- Tu ne les possèdes plus?, demanda Gérard.

- Je n’ai jamais pu me résoudre à les vendre lorsque mes enfants m’ont placé dans un foyer pour vieillards. Ils doivent se trouver encore chez mon fils, Emmanos. Vous allez voir qu’il est un excellent ébéniste et un véritable artiste du bois.

- Je serais heureux de le rencontrer, lui dit Paichel d’une voix intéressée. J’aime tous les artistes et tous les créateurs, même ceux qu’on rejette commercialement. Je respecte trop les esprits créatifs pour juger négativement leurs oeuvres ou leurs talents.

- Hé bien, vous aimerez les oeuvres de mon fils puisqu’il se spécialise dans la création d’autels liturgiques de toutes sortes. Il en a réalisé un superbe la semaine dernière.

Ulrichos entraîna ses nouveaux amis chez son fils et celui-ci se fit un plaisir de montrer son atelier. Paichel fut grandement impressionné par un petit autel en bois d’ébène qui avait l’apparence de l’arche d’alliance si souvent représenté dans les livres religieux du moyen âge. On aurait dit un coffre orné de grappes de raisins. Il possédait même des poignées pour le transporter. Emmanos le caressa en disant d’une voix émue :

- Je pense que cet autel est la plus belle de mes oeuvres. Je vais sans doute l’offrir à la postérité avant de mourir. J’ignore si mon père vous a dit que j’ai un cancer, mais cela n’a plus d’importance.

- Ne parle pas ainsi, lui répondit son père en versant rapidement des larmes. Tu dois espérer guérir puisque d’autres avant toi l’ont été pour le même cancer.

- Père, il me faudrait des soins extrêmement dispendieux; pourquoi faut-il te le répéter à chaque fois que tu viens me voir?

- C’est à cause que je t’aime, mon fils, lui répondit son pauvre père en pleurant sur son épaule.

- Sacré-nom-d’un-chien, gémit Paichel en fixant son ami dans les yeux, il faut trouver cet or et le rendre utile pour une bonne cause.

- Je suis de ton avis, lui répondit Gérard, mais si la reine de Mercure tient toujours ses promesses, j’aimerais bien savoir pourquoi nous devons le rechercher comme deux stupides ambitieux! L’or ne m’intéresse pas et cela me pue au nez de devoir fouiller ton domaine pour le retrouver. Il aurait été plus simple qu’on nous dise où il se trouve.

- Bien entendu, lui dit Paichel en souriant candidement. Tu crois sans doute que la reine pouvait en conserver dans son coffre à la banque? Voyons mon pauvre ami, je n’ai jamais douté que cet or devait se trouver quelque part où les ambitieux ne sauraient pas le trouver. Il me reste quelques milliers de dollars pour aider notre ami Ulrichos à faire soigner son fils.

- Non, je ne veux pas la charité, mais du travail, répondit le vieillard en saisissant ses outils de tailleurs. Je vais te rembourser cet argent par la sueur de mon front et mon expérience. Tu veux une maison de pierres et je peux t’aider à la réaliser.

- D’accord, nous débutons ma future maison et je t’offre vingt dollars pour chaque pierre que tu tailleras.

- Marché conclu, lui répondit fièrement le grec.

Les trois hommes retournèrent dans un champ et Ulrichos débuta son travail sans attendre. Après quelques coups de ciseaux sur l’un des gros cailloux, il se mit à trembler d’excitation en découvrant de l’or à l’intérieur.

- C’est incroyable, s’exclama-t-il devant ses amis aussi étonnés que lui; on dirait bien que cette pierre ne servait qu’à dissimuler une grosse boule d’or.

- C’est tout à fait extraordinaire, enchérit Gérard en saisissant la boule dorée d’un air amusé. Qui aurait pu se douter que cette civilisation disparue cachait sa richesse dans de vulgaires cailloux?

- Ce peuple possédait sans doute une science très évoluée pour l’époque, lui répondit Paichel en opinant de la tête. J’avoue que ces pierres paraissent tellement communes qu’il était impossible de découvrir cet or sans les ouvrir. Le trésor était exposé publiquement et personne ne s’y intéressait avant nous. On pille des temples et des ruines, mais rares sont ceux qui songeraient à examiner les pierres d’un champ. Vraiment, cette civilisation me fascine énormément!

En somme, nos amis venaient de découvrir un fantastique trésor constitué en milliers de boules d’or. Ulrichos ouvrit des centaines de pierres dans lesquelles se trouvaient des sphères de la taille d’une noix. Elles étaient toutes en or massif d’une rare pureté. Plutôt que de cacher leur richesse dans le sol, les Chimials préférèrent le laisser dans ce vaste champ pour qu’il passe inaperçu. Une telle ingéniosité permit de protéger leur trésor pendant des millénaires. Nous ne saurons sans doute jamais comment s’y prirent-ils pour l’enfermer dans des pierres puisque celles-ci ne laissaient voir aucune fissure permettant d’attirer l’attention des chercheurs d’or.

- Je suis sans doute l’homme le plus riche au monde, dit Paichel en examinant la colline de billes dorées qui n’en finissait plus de grossir. La reine de Mercure ne mentait pas!

- Mais autant d’or ne risque pas de t’attirer plus d’ennemis que d’amis?, lui demanda Gérard d’une voix inquiète.

- J’en suis parfaitement conscient, répondit le chercheur d’or en baissant tristement les yeux. Il serait sans doute plus sage de prendre uniquement les boules déjà extraites des pierres et de laisser les autres dans le champ. Nous viendrons les chercher plus tard.

Paichel offrit plusieurs boules d’or à Ulrichos pour qu’il aille les vendre au plus vite afin de se payer des spécialistes pour son fils atteint de leucémie. Le vieil homme chercha à lui embrasser les mains pour le remercier de sa générosité, mais le missionnaire lui fit comprendre d’un geste amical qu’il ne désirait pas se faire remercier.

- Remercie plutôt la reine de Mercure de m’avoir offert ce trésor, lui dit Paichel en souriant. Tu sais, je tiens toujours à faire bâtir ma demeure et j’aimerais bien que tu prennes en mains la réalisation des travaux. Je vais engager des centaines d’ouvriers dans les prochains jours et j’aurai besoin d’un contremaître pour les superviser.

- Oh, tu peux compter sur moi!, lui répondit Ulrichos avant de s’en retourner.

Quelques mois plus tard, on vit un vaste manoir se dresser dans ce champ de pierres. Il va sans dire que les gens se questionnaient sur l’excentrique Fontaimé Denlar Paichel. Il était milliardaire et c’était suffisant pour que les personnalités de l’île recherchent sa compagnie. Il donnait des soirées mondaines et se montrait fort généreux envers les organismes de charité. Ce farfelu personnage fit parler de lui dans le pays lorsqu’il engagea quarante institutrices pour lui enseigner à lire et à écrire. Il était l’unique élève de sa classe, mais en valait trois cents. Ses maîtresses d’école passaient plus de temps à l’empêcher de se distraire qu’à lui enseigner les lettres et les nombres. En quelques mois, Paichel n’avait encore rien comprit de l’alphabet, mais connaissait tous les goûts de ses charmantes enseignantes. Il faut dire que cet homme était galant de nature et qu’il ne manquait aucune occasion pour se montrer gentleman avec ces dames. On dit qu’il possédait au moins cinq mille smoking et dix mille paires de souliers vernis.

Un jour, il acheta de forts jolis jupons de dentelle à ses institutrices pour les récompenser de leur patience à son égard. Une nuit, ceux-ci disparurent avant même qu’il puisse les offrir en cadeau. Sans attendre, il en acheta quarante encore plus jolis et les enferma dans une vaste armoire de sa chambre. Il ne vit personne fouiller dans son meuble pendant la nuit, mais ses jupons n’y étaient plus au petit jour. Notre homme n’était pas le genre à s’avouer vaincu et s’empressa d’acheter cinq cents jupons de valeur pour ensuite les enfermer dans une pièce verrouillée à double tours. Malheureusement pour lui, son trésor lui fut ravi de nouveau. Paichel décida d’acheter deux mille jupons et passa la nuit à les surveiller. Il vit alors un étrange personnage passer à travers un mur pour s’approcher des forts jolis vêtements en se frottant les mains. Le ravisseur n’était nul autre qu’un diable de l’enfer. Que cela ne tienne, le missionnaire lui ramena son pied dans les fesses avant de lui dire d’une voix autoritaire :

- Diable ou non, je n’aime pas les voleurs; encore moins ceux qui sont cornés comme toi!

- Je vais t’offrir tout ce que tu veux si tu me laisse emporter ces jupons d’une rare beauté, lui répondit le démon du midi en souriant en grimace.

- Je veux que tu disparaisse au plus vite avant que ces jupons te convertissent, mon pauvre sot. Crois-tu que j’ignorais que c’était toi mon voleur de jupons? Tu ne trouves pas qu’ils sentent drôlement l’eau bénite!

- C’est vrai qu’ils possèdent une étrange odeur de parfum, répondit le diable en reculant lentement. Je suis tout de même convaincu qu’ils n’ont pas été aspergé d’eau bénite.

- Si tu en est certain, apporte-les en enfer et j’irai en acheter d’autres pour mes gentilles institutrices.

- J’en ai suffisamment pour ma collection, répondit le démon en disparaissant sans prendre aucun jupon.

Paichel se mit à rire de bon coeur puisqu’il venait de tromper ce diable. Ce délicat parfum n’était qu’une eau de Cologne à l’odeur de rose. Il fut donc en mesure d’offrir ceux-ci à ses institutrices avant d’apprendre qu’elles étaient mariées à des hommes très jaloux. Il dut se résoudre à les renvoyer avant qu’une armée de mécontents envahissent son domaine.

Pendant deux ans, la vie de milliardaire attira des milliers d’amis à Paichel. Après trois ans, sa fortune passa à mille dollars. Notre homme s’était véritablement débarrassé de son or pour reprendre la vie de clochard. Il n’aimait pas cette vie de riche et s’en défendait en disant ironiquement à ses rares amis :

- Croyez-vous utile de passer des heures à choisir les souliers que je porterai pendant la journée et le costume qui m’irait le mieux pour telle circonstance? Non, j’ai conservé un seul smoking en souvenir de cette vie de milliardaire.

- Où vas-tu à présent que tu as dilapidé tout tes biens?, lui demanda Gérard.

- Une voix intérieure me dit que l’auteur de mes aventures vit au Québec dans la jolie région de l’Outaouais. J’aimerais bien le rencontrer afin de lui raconter cette extraordinaire mission que nous venons d’accomplir pour des extra-terrestres. Pérignac ne va sûrement pas se moquer de moi puisque son coeur est arkarien comme bon nombre de Terriens. Tu devrais me suivre là-bas, Gérard!.

- Pour que je me retrouve encore mêlé dans tes étranges aventures? Non, je pense qu’il vaudrait mieux pour moi que je retourne en France afin de revoir mes amis les bohémiens. Tu sais, ces gens-là sont souvent rejetés par ceux qui n’aiment pas les voir envahir les routes avec leurs roulottes. Ces nomades sont tout de même grands de coeur lorsqu’on apprend à les connaître sans les juger. Avant de me faire conduire sur la petite île par les extra-terrestres, je m’étais fait plusieurs amis bohémiens et je les suivais de village en village pour les aider à monter des spectacles. Un jour d’hiver, toutes les roulottes furent incendiées par des inconnus malfaisants et mes amis durent poursuivre leur route à pied. C’est à partir de ce moment que j’ai décidé de vivre comme un clochard et de ne rien posséder en ce monde. Je vais tenter de retrouver mes amis en espérant qu’ils se souviennent encore du clown qui passait le chapeau après les spectacles que nous donnions un peu partout.

- Tu étais clown?, demanda Paichel en souriant.

- Pourquoi pas! Je l’étais par métier et toi tu le seras sans doute toute ta vie par vocation.

- Oui, il est vrai qu’un être comme moi passe souvent pour un clown puisque mes missions sont trop étranges pour que les gens me prennent au sérieux.

Nos amis virent Ulrichos s’approcher en marchant la tête basse. Ses yeux rougis trahissaient son éternel sourire. Paichel pleura avant même qu’il lui annonce la mort de son fils Emmanos.

- J’ai perdu mon fils, mais c’est toi qui lui a permit d’espérer une guérison, dit le pauvre vieillard en serrant le missionnaire dans ses bras. Tu sais, les gens de l’île de Crète te sont reconnaissants pour les mille et une donations que tu as fait au cours des dernières années. Grâce à toi, nous possédons des hôpitaux modernes, des centres culturels et sociaux. Puis, je ne voudrais pas oublier toutes ces familles que tu as aidées à reprendre leur dignité. Il leur fallait simplement un peu d’argent pour se libérer de leurs créanciers. Des centaines d’orphelins seront instruits depuis que tu as offert des millions de dollars à toutes sortes d’institutions et d’oeuvres de bienfaisance.

- Et dire que j’ai été incapable d’apprendre à lire et à écrire malgré ces quarante enseignantes dévouées, s’exclama Paichel en souriant. Il faut croire que le destin ne veut pas que j’écrive moi-même mes aventures et mes mémoires!

- Je pense que le destin n’a rien à voir avec ton ignorance de la lettre, lui répondit Gérard en riant de bon coeur. C’est simplement que tu as passé plus de temps à faire la cour à ces dames qu’à écouter leurs bons conseils.

- Tu as sans doute raison, mais je ne vais sûrement pas le dire à Pérignac. Je lui demanderai d’écrire que j’ai tenté simplement de m’instruire sans succès.

- J’ose croire que cet homme n’est pas assez naïf pour écrire tes aventures sans d’abord connaître tes forces et tes faiblesses. Je suis convaincu que les lecteurs apprendront que tu es analphabète par ta faute.

Paichel haussa les épaules avant d’inviter ses deux amis dans un petit restaurant des environs. Ils prirent un copieux repas avant de se diviser les mille dollars qui restait de l’immense fortune de l’ancien milliardaire.

- Il nous reste assez d’argent pour prendre le bateau, dit Paichel en se levant de table.

- As-tu un passeport ou une carte d’identité pour quitter le pays?, lui demanda Ulrichos d’un air timide.

- Non, je n’ai jamais possédé le moindre papier pour voyager à travers le monde, lui répondit le missionnaire. Il se trouve toujours des circonstances favorables sur ma route pour me conduire où je le désire sans devoir utiliser des papiers.

- Justement, mon beau-frère est le capitaine d’un pétrolier qui part ce soir pour l’Amérique, s’exclama le vieil homme en riant.

- Et voilà, je vais donc partir ce soir vers l’Amérique si ton beau-frère est intéressé à m’offrir une place sur son navire.

- S’il apprend que tu n’es pas un terroriste ou un criminel, je ne vois pas pourquoi cela ne serait pas réalisable.

- D’accord, je vais donc te remettre cet argent pour ton beau-frère, dit le missionnaire en fouillant dans sa poche de chemise déjà trouée par endroits.

- Non Paichel, mon beau-frère acceptera de te loger gratuitement puisque tu es mon ami.

- Parfait, je vais donc l’offrir à Gérard pour l’aider à défrayer son voyage.

- J’en ai amplement pour payer mon retour en France, lui répondit l’autre en remettant les billets dans la poche de son ami. Tu en auras besoin autant que moi et même plus que moi pour te nourrir et te vêtir. On dit que le climat du Canada est rude en hiver, n’est-ce pas?

Les trois amis marchaient le long du quai lorsqu’un étrange vaisseau spatial passa au-dessus de leurs têtes chauves. Un rayon puissant fit disparaître Paichel et Gérard sous le regard amusé de l’ancien tailleur de pierres. Il connaissait très bien la reine de Mercure puisqu’il était l’un de ses serviteurs. En effet, cette reine possédait plusieurs missionnaires qui tentèrent comme Paichel et Gérard de la libérer en lui redonnant ses trois perles magiques. Ulrichos n’était pas parvenu à lui rapporter celles-ci et retourna chez lui. Il aida donc de son mieux le vainqueur à retrouver cet or promise par la reine. Lorsqu’il vit ses amis disparaître sous ses yeux, Ulrichos comprit que les Mercuriens désiraient conduire eux-mêmes ses amis chez-eux. Le vieil homme salua le navire des deux mains avant de retourner au foyer pour y vivre jusqu’à la fin de ses jours

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